GRÈCE ANTIQUE - La cité grecque , urbanisme et architecture

GRÈCE ANTIQUE - La cité grecque , urbanisme et architecture
GRÈCE ANTIQUE - La cité grecque , urbanisme et architecture

Symbole des mouvements de colonisation qui amenèrent, au VIIIe siècle avant notre ère, l’installation des Grecs en Sicile et en Italie méridionale, les villes grecques de Sicile illustrent encore, par l’ampleur et la beauté de leurs ruines, par la qualité de leurs œuvres d’art, en particulier des monnaies, une des plus importantes périodes de civilisation en Méditerranée occidentale. Les fouilles et les recherches conduites depuis le milieu du XXe siècle sur ces sites permettent de présenter une histoire et une évocation beaucoup plus précises du monde grec occidental et de son rôle dans le développement et l’extension de l’hellénisme vers l’ouest, et en particulier vers Rome.

L’architecture civile a un caractère très particulier dans les cités du monde grec où le pouvoir politique est exercé par des conseils ou par l’assemblée du peuple. Cette architecture est plus fonctionnelle que décorative, faite d’édifices diversifiés et autonomes à l’image des organismes décentralisés, politiques, judiciaires ou administratifs qui ont en charge les intérêts de la communauté et de l’ensemble des citoyens.

1. L’urbanisme

Colonisation et urbanisation de la Sicile

Une exploration archéologique permet de définir en traits plus nets la personnalité et le faciès de chacune des cités. On dégagera ensuite les traits généraux de leur évolution et de leur spécificité. On peut distinguer plusieurs groupes et divers moments dans l’histoire des villes grecques de Sicile, suivant les modalités et les buts de la colonisation, compte tenu en outre de l’origine des colons.

La première phase de colonisation se produit au cours de la première moitié du VIIIe siècle avant J.-C.; des colons originaires des villes de Chalcis et d’Érétrie en Eubée fondent Naxos et Zancle; un autre contingent venant de Mégare et de Corinthe s’installe à Mégara Hyblaea et à Syracuse. Les premiers sont soucieux d’assurer la sécurité des relations à travers les détroits vers les toutes premières colonies déjà installées en Italie centrale, au nord de Naples, à Pithécussa et à Cumes; les autres sont préoccupés de trouver des sites de peuplement et d’exploration agricole pour remédier aux crises démographiques et sociales qui agitent leurs métropoles.

De cette première génération, les fouilles de Naxos, de Mégara Hyblaea et de Syracuse conservent des vestiges éloquents. La ville de Naxos fut implantée sur la presqu’île du cap Schizo, au sud de Taormine, sous la conduite d’Apollon, dieu archégète. La fouille d’un quartier, au nord, a révélé un tracé déjà régulier, avec des maisons de plan rectangulaire. Dans l’angle sud-ouest du site, une zone fut réservée au sanctuaire de la cité. Après la prise de la ville par les Syracusains au début du Ve siècle, une division nouvelle du site, sur une orientation légèrement différente, organise de longs îlots, à l’intérieur d’un réseau de rues parallèles et perpendiculaires. La céramique, les décors architecturaux illustrent les relations très étroites de la cité avec ses métropoles et avec le monde ionien.

À Mégara Hyblaea, où les Mégariens de Grèce s’installent sur un plateau maritime à l’est des monts hybléens, dès le milieu du VIIIe siècle, une cité bien organisée s’implante, selon un plan défini par quelques grands axes. Les maisons, simples, de plan carré, avec une seule pièce, ne sont pas placées en bordure de la rue. L’agglomération garde un caractère rural, avec des maisons isolées chacune dans son jardin ou son verger. Il faut attendre le milieu du VIIe siècle pour voir la cité prendre un aspect urbain; les maisons s’agrandissent par association de nouvelles pièces; elles rejoignent le bord de la rue qui, elle-même, est limitée par des murs de clôture en gros blocs de tuf. Une régularisation beaucoup plus sensible se manifeste, fondée sur des îlots allongés, divisés longitudinalement en deux parties d’égale largeur (12,50 m); les habitations s’ordonnent de part et d’autre de cette ligne de partage. Les centres religieux et civiques se structurent: les sanctuaires dans la région sud, l’agora au milieu d’un grand quartier nord. Celle-ci a fait l’objet d’une étude approfondie qui nous fait connaître le premier exemple, au milieu du VIIe siècle, d’une agora architecturalement organisée. Son aire fut réservée dès le tracé initial; aucun vestige antérieur n’a été retrouvé sous la place qu’entourent les constructions religieuses et profanes. Au sud, la limite est constituée par deux temples orientés est-ouest; à l’ouest, elle est bordée par l’un des axes principaux de circulation, et les bâtiments s’alignent au-delà de la rue qui se trouve intégrée à la place suivant un système qui deviendra très classique dans les siècles postérieurs. Du nord au sud, on trouve deux enclos sacrés, avec des autels et des installations pour sacrifices et offrandes, puis un bâtiment comportant trois salles de réunion et de banquet derrière un portique de façade. Les côtés nord et est sont bordés de portiques à colonnade, alignés sur les rues qui encadrent la place. Celui du nord a un dispositif notable, son mur de fond est percé d’un large passage avec colonnes formant un propylon en relation avec une rue nord-sud, qui est interrompue par l’agora. Ce motif architectural annonce les grandes portes monumentales associées aux portiques des agoras hellénistiques.

La physionomie de Syracuse est moins nettement caractérisée par suite de l’impossibilité de procéder à une exploration systématique en raison de l’implantation de la ville moderne. La ville primitive, les fouilles l’ont prouvé, comportait un quartier insulaire sur l’îlot d’Ortygie et un quartier continental sur les pentes de l’Achradine. Dans l’île se trouvaient les grands sanctuaires: celui d’Apollon et d’Artémis, au point de passage entre l’île et le plateau et celui d’Athéna au sommet de l’île qui constituait l’acropole. Des maisons du VIIIe siècle ont été dégagées entre les deux zones. Plusieurs autres sanctuaires et les nécropoles étaient répartis à l’embouchure du Cyanè et sur les pentes qui dominaient l’île et le grand port, là où, plus tard, Denys construira le château de l’Euryale.

C’est avec la deuxième phase de colonisation , au VIIe siècle et au début du VIe siècle avant J.-C., que se développe et s’épanouit le processus urbain dans les villes créées par les premières cités coloniales: Sélinonte fondée par Mégara Hyblaea, Camarina, Acrae installées par Syracuse, Lentini, extension de Naxos et de Catane, Agrigente fondée par Géla.

On assiste alors à une extension considérable du plan urbain et à l’épanouissement des conceptions encore limitées dans les premiers établissements. Sélinonte, Agrigente, Camarina occupent de vastes étendues, accrochées à des croupes ou à des collines dominant des plaines de cultures. Une division systématique de la zone urbaine répartit les grandes aires d’occupation: aires réservées aux cultes et à la vie publique, aux habitats, aux nécropoles; des tracés orthogonaux divisent les surfaces en grands îlots allongés, dont les axes s’adaptent aux lignes du terrain. L’acropole de Sélinonte, au sud du site, la colline des temples à Agrigente, qui répond à l’arc de cercle que dessine l’acropole au nord, témoignent d’une conception ample et systématique du site urbain. Les structures monumentales sont à l’échelle de cette organisation.

Les caractères de l’urbanisme de la Grèce de l’Ouest

L’analyse rapide de quelques exemples connus par les fouilles permet de dégager les traits essentiels de l’urbanisme de la Grèce de l’Ouest.

Sélinonte

Le site urbain de Sélinonte s’étend sur plus de deux cents hectares; il enferme deux plateaux reliés par un pédoncule: au sud, l’acropole; au nord, le plateau de Manuzza. Ils s’allongent entre les vallées des deux fleuves: à l’ouest le Sélinus, à l’est le Cotone; c’est à l’embouchure du premier que fut aménagé le port principal. À l’est, s’étendait une zone sacrée au-delà du Cotone, sur la colline de Marinella, où un sanctuaire d’Héra s’établit à la fin du VIIe siècle.

Dès le moment de la fondation, de grandes zones d’occupation semblaient avoir reçu leur destination; la partie sud de l’acropole était réservée aux lieux de culte, tandis que l’habitat s’implantait sur le plateau nord et débordait sur la moitié septentrionale de l’acropole et sur ses flancs, à l’est et à l’ouest, en direction des ports. Un même tracé affectait cette deuxième zone, jusqu’au port occidental, malgré les dénivellations, tandis que le réseau des rues et des îlots sur la Manuzza, tout aussi régulier, s’infléchissait vers le nord-ouest, suivant le mouvement du terrain.

Dès la première moitié du VIe siècle, ce grand ensemble avait un faciès urbain, avec les habitations alignées au long des rues, avec une densité plus grande en bordure des grands axes nord-sud.

Parallèlement et dès le deuxième quart du VIe siècle, des programmes d’aménagements monumentaux étaient mis en œuvre dans les zones réservées. Sur l’acropole, un téménos (doté de nombreux autels et chapelles, puis des temples C et D, dont l’un au moins était consacré à Apollon) était constitué par d’énormes travaux de terrassement qui étendaient sa superficie vers l’est et le nord-est où il était soutenu par un puissant mur de soutènement à gradins.

On y accédait par une rampe monumentale ouverte dans l’angle nord-ouest de cette nouvelle terrasse; le passage fut fermé par les remparts ultérieurs de l’acropole. À l’ouest du téménos, s’étendait sans doute une zone de petits sanctuaires et d’autels, que les habitats envahirent au cours de la reconstruction du IVe siècle.

Sur la colline de l’est, autour de l’Héraion, la zone religieuse reçut deux autres temples, dont le temple G, consacré à Apollon, l’un des géants de l’architecture religieuse du monde grec. Long de plus de 110 mètres, ce temple présentait une façade de huit colonnes, d’où l’on accédait à une galerie intérieure ouverte qui conduisait à une chapelle, un adyton, où siégeait sans doute l’oracle de l’Apollon pythien. Les galeries latérales, bordées de dix-sept colonnes sur chaque côté nord et sud, mesuraient 11 mètres de large, l’équivalent de la nef centrale du Parthénon.

Une conception aussi grandiose de l’urbanisme, un goût aussi prononcé pour les grands ensembles architecturaux, qui se retrouve identique dans les cités coloniales de Grande-Grèce, à Métaponte, à Paestum, traduisent une mentalité propre à ces grandes cités coloniales qui cherchent à affirmer les valeurs de l’hellénisme en une terre parfois hostile.

Agrigente

Agrigente offre un autre exemple raffiné d’une architecture urbaine de prestige. Le site, enfermé dès le Ve siècle par une vaste enceinte, chevauche un groupe de collines et de vallées limitées, comme à Sélinonte, par le cours de deux fleuves, l’Hylas et l’Akragas. La ville s’est installée dans la dépression comprise entre l’acropole au nord, prolongée vers l’est par une croupe assez abrupte et une sorte de bourrelet rocheux qui domine d’une vingtaine de mètres, sur une longueur d’environ 1 000 mètres, la plaine qui rejoint le rivage et le port au sud. Les cultes et les sanctuaires prirent place sur cette bordure sacrée.

Au nord-est on a trouvé, sous la ville médiévale, les sanctuaires de Zeus Atabyrios et d’Athéna; tous deux se rattachent aux origines rhodiennes de Géla, la métropole d’Agrigente. Tout au long de l’arête méridionale, en bordure du rempart, s’alignaient les temples, dont la plupart restent encore anonymes, malgré la qualité des vestiges, depuis celui d’Héra Lacinia à la pointe orientale jusqu’au sanctuaire des divinités chthoniennes à l’ouest; la masse du grand Olympieion, de structure étrange, marquée sans doute par quelques influences punico-orientales, se dressait à mi-chemin non loin d’une zone reliée à l’agora.

Un réseau orthogonal de rues et d’insulae structurait la ville; ce tracé primitif, mis en place au VIe siècle, fut conservé dans les reconstructions hellénistiques et romaines. Le paysage urbain devait être complété par un grand lac artificiel, qui avait sans doute été aménagé dans la région sud-ouest de la ville, grâce aux ressources fournies par le butin et les contingents d’esclaves provenant de la victoire d’Himère, remportée en 480 par Gélon sur les Carthaginois.

Ici encore, réalisation d’un urbanisme grandiose, aux proportions amples, procédant par accumulation et répétition d’édifices, bien différent des exemples laissés par les vieilles capitales de la Grèce, Athènes, Corinthe et même Milet. On ne saurait négliger l’apport de ces villes occidentales dans la formation de l’urbanisme classique tel qu’il sera défini au cours du Ve siècle par les théoriciens comme Hippodamos de Milet et commenté par les philosophes du IVe siècle. Élaboré par les cités, dont les ressources financières étaient sans nul doute considérables, conçu pour répondre à des conditions politiques et sociales spécifiques, à l’échelle des prétentions que les colons envisageaient pour leur propre action et en face des peuples indigènes ou ennemis (Elymes, Carthaginois...), ce type de ville fournit les cadres et les moyens de l’urbanisme plus modéré, plus rationnel que les cités de Grèce cherchaient à réaliser en relation avec la conception du citoyen et de ses besoins dans le cadre plus restreint de la cité, la polis traditionnelle.

Mais on n’aurait qu’une idée très imparfaite de l’éclat et du rayonnement des cités grecques de Sicile aux temps archaïques et classiques du VIIe siècle à la fin du Ve siècle avant J.-C., si l’on n’évoquait que leur cadre urbain et architectural. C’est l’ensemble de l’activité artistique qui témoigne d’une puissante originalité dans les villes grecques de Sicile.

La création artistique

Très tôt, les cités grecques se mirent à imiter les produits d’importation, céramiques ou sculptures. Partout les céramistes fabriquent, avec les argiles de Sicile, des œuvres qui imitent les vases corinthiens, ioniens et rhodiens, puis attiques. Ces produits se distinguent par la couleur et la nature des argiles, par leurs styles qui n’évolueront pas comme ceux de la céramique en Grèce propre, qu’il s’agisse des formes de vases ou de leurs décors. Ces ateliers alimentent le commerce local, mais fournissent aussi des produits d’exportation destinés aux cités indigènes de Sicile et à l’Afrique. La richesse et la qualité des argiles favorisent la production des figurines de terre cuite, découvertes en grand nombre dans les dépôts votifs des sanctuaires. En ce domaine aussi, les styles locaux se greffent sur les produits importés. La grande plastique, en relief ou en ronde bosse, reste davantage tributaire des ateliers de la Grèce métropolitaine. La plupart des œuvres de marbre viennent de Samos, de Rhodes ou d’Attique. Toutefois, les sculptures en terre cuite, comme la grande déesse Mère de Mégara Hyblaea, révèlent des inspirations proprement locales. Un atelier de sculpture originale se forme à Sélinonte où plusieurs séries de métopes, en particulier celles du temple C et celles des temples E et F, révèlent un style original, adaptation des influences ionienne d’abord, puis attique au début du Ve siècle.

En relation avec les réalisations architecturales, les ateliers de Sicile se font une spécialité des grands revêtements de terre cuite qui ornaient les parties hautes des temples. Au centre des frontons, à Syracuse comme à Sélinonte, la figure de Gorgone est traitée en un puissant motif d’applique en terre cuite peinte. Les couronnements des entablements, les bordures des toits reçoivent des plaques de terre cuite peinte qui sont transportées, lorsqu’elles ne sont pas fabriquées sur place par les céramistes siciliens, jusque dans les grands sanctuaires panhelléniques, Olympie et Delphes.

En ces divers domaines, tout au long des VIe et Ve siècles, des échanges continus se développent entre la Sicile et les grands centres de création artistique de Grèce, des îles ou d’Asie Mineure. C’est une tâche délicate pour les archéologues et les historiens de reconnaître et de définir les courants d’échanges qui ont relié les villes de Sicile et celles de la Méditerranée orientale.

On ne saurait oublier enfin la vie intellectuelle et littéraire. Pindare, après Bacchylide et Stésichore, a puisé largement son inspiration dans les traditions des villes grecques d’Occident. Les odes composées en l’honneur des princes de Syracuse ou de Géla, dont les attelages remportaient les concours panhelléniques d’Olympie, de Delphes ou de Némée, évoquent les cours brillantes et animées de ces tyrans qui faisaient traduire en œuvres d’art leur richesse, leur puissance et leurs traditions ancestrales. Autour d’eux, poètes et littérateurs recréaient ou transposaient les légendes en les rattachant à des versions occidentalisées.

Dans le domaine philosophique ou politique, la vitalité de ces cités et leur contribution à la formation de la pensée politique de la Grèce ne furent pas moins fécondes. Platon, qui séjourna à plusieurs reprises à la cour syracusaine de Denys, y retrouvait une ancienne tradition. Ainsi que la Crète, Sicile et Grande-Grèce ont fourni les premiers législateurs, l’administration des cités, la nature et l’ampleur des problèmes posés par leur organisation politique et sociale ont provoqué, puis alimenté la réflexion juridique et politique. Pythagore ne fut que le plus illustre de ces théoriciens qui furent amplement utilisés par les sophistes athéniens et par les grands philosophes du IVe siècle, Platon et Aristote.

L’évolution du IVe siècle

Les événements politiques et militaires qui suivirent la violente intrusion des Carthaginois de 409-408 avant J.-C. provoquent de profondes transformations dans les divers aspects des cités grecques de Sicile. Sélinonte, Himère, Agrigente, Camarina subissent de graves destructions; les populations sont réduites ou déportées. Seules Syracuse et les cités de la partie orientale sont préservées. Il faudra plus d’un demi-siècle à la Sicile grecque pour retrouver un peu de puissance et quelque éclat, avec les renforts que Timoléon et Agathoclès amenèrent de Grèce. De nouveaux foyers et une nouvelle forme d’hellénisation se manifestent dans les centres urbains. Syracuse reprend sa politique d’impérialisme et poursuit son développement, qui se traduit par l’extension de la ville, la création des quartiers de la Néapolis dans la région du théâtre; celui-ci reçoit une structure monumentale qui affecte toute la zone où, plus tard, Hiéron construira le plus grand autel du monde grec. Les anciennes villes, comme Sélinonte et Agrigente, sont reconstruites; de nouvelles cités comme Solunto, Iaitès se créent; Ségeste tire parti de cette situation confuse pour se développer. Si Sélinonte réduit sa surface d’occupation, d’autres au contraire l’étendent. Solunto, Iaitès, Tyndaris présentent un nouveau visage urbain, où les nouvelles formes de l’urbanisme hippodaméen sont adaptées aux peuplements et aux traditions gréco-puniques. Les nouveaux tracés orthogonaux renoncent aux longues insulae du VIe siècle, les îlots ont adopté les proportions plus carrées de ceux de Milet ou de Priène. Les maisons adaptent les traditions puniques aux plans hellénistiques: les cours sans péristyle, les citernes en ellipse, la juxtaposition des petites salles évoquent davantage le paysage urbain des villes du cap Bon en Tunisie que celui de Délos.

Les anciens temples ont été souvent abattus par les Carthaginois. Certains sont restaurés; d’autres reconstruits suivant les plans et les principes des grandes compositions hellénistiques, comme le sanctuaire à terrasse et portique d’Eloro. Mais le paysage religieux des villes de l’Ouest est piqueté de petits sanctuaires puniques, dont Sélinonte et Solunto offrent les exemples les mieux conservés. Ainsi se juxtaposent, dans le cadre urbain de la Sicile occidentale, les images de deux civilisations, la grecque et la punique. Les témoignages de la première sont exprimés par les monuments les plus caractéristiques de la cité grecque: l’agora, le théâtre, les gymnases et palestres, les colonnades et les architectures d’applique; la seconde de ces civilisations, suivant l’importance des éléments démographiques, se manifeste dans l’architecture domestique, les décors, les petits sanctuaires, implantés parfois dans les ruines des grands temples grecs. Et les mêmes caractères mixtes apparaissent dans les autres manifestations artistiques ou artisanales. Les monnayages au type du cheval ou du palmier, de tradition punique, se mêlent aux types à l’Héraclès ou à l’Apollon, toujours fidèles aux traditions grecques.

Ainsi, à travers même les rivalités des cités, se crée une forme de civilisation que Rome va rencontrer au cours de ses conquêtes du IIIe siècle et qui rejoint celle de GrandeGrèce. C’est dans ces formes modifiées et transposées des productions artistiques variées de cette période que puisent les courants d’hellénisation qui se manifestent à Rome au IIe siècle. Des formes neuves se mêlent à toutes les œuvres et aux produits que les consuls rapportent de Macédoine, d’Asie ou de Corinthe. L’héritage de l’héllénisme occidental est une des composantes importantes, avec les traditions étrusco-italiques, de l’évolution de l’art romain aux deux derniers siècles de la République.

2. L’architecture

Les édifices civils sont groupés autour de l’agora dans les cités grecques et au voisinage du forum dans les villes romaines. Dans la démocratique Athènes, c’est vers 500, au temps de la réforme de Clisthène, que l’on construit le premier bouleuterion, la salle du Conseil; il s’agit d’un édifice carré d’environ quinze mètres de côté, doté sur trois côtés de bancs disposés en gradins rectilignes, le quatrième côté étant réservé aux accès. Des siècles suivants, datent les salles de Priène, de Milet. La plus monumentale est l’Odéon d’Agrippa sur l’agora d’Athènes. C’est la plus majestueuse des salles d’assemblée couvertes que nous connaissions dans le monde grec; la salle proprement dite, enchâssée dans un ensemble de portiques à étage, mesurait plus de vingt-quatre mètres de côté et les portées entre les piliers atteignaient dix-sept mètres. C’était trop sans doute pour les charpentes, car les transformations effectuées au IIe siècle réduisent le volume intérieur par des pilastres intermédiaires et par un changement dans le dispositif des sièges. On retrouvera la même simplicité dans la curie, la salle du Sénat romain.

Les tribunaux, les magistrats de tous ordres occupaient des bâtiments de modeste apparence qui progressivement furent intégrés aux vastes stoai, parures monumentales des places publiques. La grande stoa d’Attale, reconstituée sur l’agora d’Athènes, en donne une image exacte avec son étage ionique, ses portiques à double nef et ses alignements de boutiques, disposées elles aussi sur deux étages. Galeries d’art en même temps que galeries marchandes, elles abritaient dans les boutiques de multiples activités; les colonnades étaient un élément important des compositions architecturales des sanctuaires et des agoras.

Pour installer les tribunaux, loger les changeurs et les magistrats, les architectes romains ont créé les basiliques. Dès l’époque républicaine, ses grands édifices, de plan rectangulaire, traités en plusieurs nefs avec des rangées de colonnes intérieures, agrandis à chaque extrémité par des absides, ornaient le forum de Rome. Vitruve au Ier siècle en définissait le plan et les proportions et, au siècle suivant, Trajan en faisait effectuer dans son forum la plus célèbre réalisation, associée à un vaste complexe architectural en hémicycle, peut-être l’œuvre d’un architecte grec romanisé, Apollodore de Damas. La basilique, purement utilitaire à l’origine, devenait un édifice d’apparat élevé à la gloire de Rome et de l’empereur.

Deux fonctions essentielles des cités grecques et romaines ont leur cadre architectural spécifique: les gymnases et les palestres pour la fonction éducative, les théâtres pour la fonction «agonale» de jeux et de représentations.

Les gymnases sont, à l’origine, de simples champs d’exercice et de manœuvre, situés à l’extérieur de la cité, où les classes d’éphèbes s’entraînent en vue de leur service militaire. Devenus progressivement le centre de toute l’éducation universitaire de la cité, où philosophes, poètes, historiens se rencontrent et donnent leur enseignement, les gymnases s’intègrent à la ville et constituent l’un des groupes monumentaux les plus caractéristiques de la cité grecque. Ils associent les constructions nécessaires à l’entraînement physique (pistes couvertes et à l’air libre, salles d’exercice, de lutte) et les aménagements propres à la vie intellectuelle (bibliothèques, salles de lecture, odéon); ils comportent aussi des installations sanitaires. Des palestres, de proportions réduites, présentent des plans identiques regroupant les divers édifices dans une composition unitaire aménagée autour de cours à portiques.

Le théâtre suit une évolution comparable. De l’esplanade en terre battue, de forme circulaire pour la commodité du spectacle, autour de laquelle se groupent les spectateurs, il devient par étapes successives l’édifice indispensable d’une ville grecque et romaine, lui aussi portant la marque d’une culture classique partout où l’hellénisation ou la romanisation s’implante en terres lointaines. D’abord en bois, comme les fouilles l’ont révélé, les installations sont très rudimentaires. Puis autour de l’orchestra , où évoluent les chœurs, se dessine l’hémicycle, avec ses rangées de gradins, ses escaliers de circulation et, plus tard, grâce à la technique romaine, ses couloirs voûtés qui jouent le rôle de support pour l’hémicycle et de voies d’accès aux divers niveaux des gradins. Les bâtiments de scène, de simples dépôts qu’ils étaient, reçoivent progressivement des structures architecturales et décoratives, avec des motifs d’appliques à colonnes, des niches pour sculptures, en matériaux polychromes, qui font des théâtres romains d’Afrique des ensembles luxueux.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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